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Le char d'assaut en France.
Le char d'assaut en France.
27 décembre 2006

L'émergence de l'arme blindée française (1915/1916).

- Prélude -

Face aux hécatombes de l'année 1914*(1) et à l'enlisement du conflit qui s'ensuivit, l'idée d'engins capables de rompre le front et de permettre de réaliser des économies en vies humaines que certains hommes avaient imaginé dans leur esprit trouva pleinement son sens.
C'est déjà dans un tel contexte, et avec ce souci, qu'avaient émergé les premières automitrailleuses qui restaient toutefois limitées dans leur emploi par leur capacité de mouvement plus que médiocre sur un champ de bataille bouleversé chaque jour davantage par la puissante artillerie des deux camps.
Certes, ces idées de protéger d'une cuirasse le soldat montant au front combattre ou de faire s'approcher des lignes ennemies des mastodontes puissamment armés afin de culbuter les lignes de l'adversaire n'étaient pas nouvelles*(2). Néanmoins, plusieurs éléments allaient contribuer, en se combinant, à l'émergence pendant la Grande Guerre de l'engin blindé tel que nous le connaissons encore aujourd'hui.
L'invention du moteur*(3) allait permettre d'accroître la masse du véhicule sans -trop- se soucier de sa capacité à se mouvoir. Ce qui avait toujours été le principal problème dans la réalisation de ce type d'appareils blindés. Les chevaux, puis ensuite la vapeur étant incapables de répondre au défi posé par le lourd blindage envisagé pour ces inventions ou par l'embarquement d'artillerie et/ou d'infanterie.
Quant à la découverte du tracteur à chenilles par l'Américain Benjamin Holt, baptisé Caterpillar (signifiant chenille), dont les premiers exemplaires furent testés avec succès en Angleterre, et importés par la suite également sur le continent, elle permit de faire face aux nouvelles exigences du champ de bataille. Celles-là mêmes qui limitaient, voire interdisaient, l'utilisation des automitrailleuses récentes au combat. British_Mark_I_male_tank_Somme_25_September_1916Ce sont les Anglais qui furent les premiers à se saisir du concept de véhicules blindés chenillés. Etrangement, ce fut d'ailleurs l'Amirauté britannique qui en lança l'idée*(4).
Et ce sont donc, fort logiquement, des Mark I britanniques (c.f photo) qui furent utilisés pour la première fois dans un no man's land de la première guerre mondiale, en IX/1916, dans la Somme.
Certes, les handicaps se révélèrent nombreux (pannes, lenteur, bruit et fumée, manoeuvrabilité toute relative, vulnérabilité face à l'artillerie ennemi, etc.) et les dividendes stratégiques faibles*(5), toutefois l'effet fut indéniable sur les troupes ennemies, et si, à l'avenir, la surprise ne devait plus compter, c'est par leur nombre que ces machines devaient permettre de l'emporter sur un Allemand décidément bien accroché aux territoires conquis.
C'est dans un tel contexte que la France entreprit des recherches dans le domaine des blindés. Traumatisée qu'elle était alors par les saignées du début de la guerre et par l'occupation d'une partie substantielle de son territoire. Quelques hommes en furent à l'origine, Brillié de la société Schneider du Creusot, Louis Renault et bien évidemment celui qui allait devenir le "père des chars" français, le colonel Jean-Baptiste Estienne*(6).

- La persévérance d'un homme visionnaire -

Ce dernier avait déjà prouvé son intérêt pour les choses nouvelles et les innovations en tout genre puisqu'il s'intéressa tôt à l'aviation naissante, et contribua ainsi à faire émerger la reconnaissance aérienne française dont il coordonna efficacement les actions avec l'artillerie, arme à laquelle il appartenait.
C'est donc sans grand étonnement que nous le retrouvons, suite aux premiers combats très meurtriers de ce début de guerre, dans le petit cercle d'hommes qui comprit que seul l'emploi de cuirasses mobiles pouvait conjuguer relative protection des combattants et rupture du front et, in fine, permettre de remporter la décision.
estienneC'est lorsqu'il découvrit les capacités de franchissement de la chenille au cours d'une démonstration en Angleterre que tout devint très clair dans son esprit, même s'il ne faut pas exagérer sa vision tactique et stratégique de l'arme nouvelle, nous y reviendrons.
En tout cas, voilà comment il s'exprima, devant certains officiers de son propre régiment, à la fin d'août 14 : "Messieurs, la victoire appartiendra dans cette guerre à celui des deux belligérants qui deviendra le premier à placer un canon de 75 sur une voiture capable de se mouvoir en tout terrain". On ne peut être plus clair.
D'autant qu'il réitéra de tels propos, en 1915, avec davantage encore de clarté quand il écrivit à Joffre. Voici quelques extraits de sa lettre : "(...) Je regarde comme possible la réalisation de véhicules à traction mécanique permettant de transporter à travers tous les obstacles et sous le feu, à une vitesse supérieure à six kilomètres à l'heure, de l'infanterie, avec armes et bagages, et du canon. J'estime qu'il faut six mois et dix millions pour réaliser le matériel nécessaire au transport d'une vingtaine de mille d'hommes, force suffisante pour enlever, par surprise, les lignes successives sur 40 kilomètres de front et permettre l'irruption des masses disposées en arrière (...)". On le voit, il allait jusqu'à prévoir le temps et le montant nécessaires à la réalisation de son projet.
En tout cas, à partir de ce moment, il mit toute son énergie à convaincre ses supérieurs et les autorités militaires du bien fondé de cette idée de cuirassé terrestre, et commença également à chercher des appuis industriels pour réaliser concrètement les engins envisagés.
Et ce ne fut guère une mince affaire, tant les réticences étaient grandes. Ainsi, Louis Renault rejeta une première fois les demandes d'Estienne et c'est finalement la société du Creusot, Schneider, qui accepta de réaliser les premiers travaux. Quant au GQG (Grand quartier général), traditionnellement conservateur, c'est fort logiquement qu'il fit traîner les choses, malgré l'intérêt suscité par l'artillerie d'assaut chez le commandant en chef et le général Pétain*(7).
D'ailleurs, une autre preuve des difficultés que rencontra le colonel Estienne, c'est qu'une fois le projet lancé, ce dernier releva finalement du service automobile et d'une commission dont le "père des chars", lui-même, fut écarté, bien qu'il y avait des hommes de confiance.
Toutefois, les premiers essais débutèrent au début de l'année 1916, et si de nombreuses critiques s'élevèrent bien, les conclusions firent tout de même état d'un certain succès sur les machines jusqu'à présent réalisées. Seuls le prolongement de la phase de tests ainsi que quelques aménagements, évidents dans le cadre d'une telle innovation, allongèrent un peu les délais de production et de livraison.
ca1_0009Mais si Estienne pouvait s'estimer heureux de voir ses idées enfin concrètement prises en compte, son projet fut presque immédiatement mis en concurrence avec celui du général Mourret (appartenant justement au service automobile) qui devait aboutir à la naissance du principal rival du Schneider CA-1 (c.f photo de gauche), le char Saint-Chamond (photo de droite), conçu par les usines FAMH*(8).
Fra_CharDAssautStChammond3Cette décision put apparaître comme un handicap insurmontable dans la volonté d'uniformisation des matériels désirée par Estienne qui comptait autant sur la puissance et la surprise des chars d'assaut que sur leur nombre.
Mais finalement, cette dualité ne pouvait-elle pas être bénéfique ? Après tout, la mise en concurrence de ces deux appareils permettrait sans doute une sorte d'équilibre entre les défauts de l'un et ceux de l'autre. Quant à la question de la quantité disponible, le problème fut vite réglé par la commande de quatre cents exemplaires, et aux usines FAMH, et à la firme du Creusot. Effaçant du même coup les premières inquiétudes face à l'éparpillement des efforts et des moyens.
Et, au final, ce n'est qu'avec peu de retards que le premier engin blindé français, le Schneider CA-1, fut engagé au combat, début 1917 à Berry-au-Bac, dans l'Aisne, véritable acte de naissance de l'arme blindée française voulue et portée à bout de bras par le colonel Estienne.
Néanmoins, la "croisade" de ce dernier ne s'interrompit pas là. Et, il ne renonça pas à son concept de blindé léger et retourna voir Louis Renault dans ses usines de Billancourt. De ces échanges allait naître le père des chars modernes, le FT17.

- Des premiers chars à la révolution du Renault FT17 -

A suivre ...
eb.
__________________________________________
*(1) Plus de 300 000 soldats français sont morts ou disparus en seulement quatre mois de guerre en 1914 (in BECKER J-J., BERSTEIN S., Victoire et frustrations, 1914-1929, Paris, Seuil, 1990, p. 39), dont près de 30 000 rien que pour la bataille de la Marne (ibid). Pour vous faire une idée, l'armée française en perdit 360 000 pour toute l'année 1915.
*(2) Voir à ce sujet les idées de Leonardo da Vinci, et les travaux des ingénieurs et inventeurs des XVIIIème et XIXème siècles in MALMASSARI Paul, Ils ont rêvé l'arme absolue ... le char d'assaut, Histoire de guerre Thématique 1, X-XI/2006, pp. 4-9.
*(3) En 1860, Jean Lenoir met au point le premier moteur à explosion. En 1882, Fernand Forest réalise le premier moteur fonctionnant suivant un cycle à quatre temps. Enfin, en 1893, l'ingénieur allemand Rodolphe Diesel invente le moteur à combustion interne.
*(4) Ce n'est toutefois pas si étonnant que cela si l'on se souvient que les automitrailleuses étaient la propriété de la Navy.
*(5) Si de nombreuses tranchées allemandes tombèrent vite lors des premiers engagements, du fait notamment de la panique des fantassins, la bataille de Flers-Courcelette n'apporta que de faibles gains territoriaux alors qu'elle devait déboucher sur l'ouverture d'une brèche dans les lignes allemandes.
*(6) Il est promu général en VIII/1916.
*(7) Le vainqueur de Verdun estimait beaucoup Estienne depuis que les deux hommes avaient uni leurs idées tactiques au cours de la bataille de la Marne, Estienne y commandant l'artillerie de la 6e division de Pétain.
*(8) Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d'Homécourt. Elle naquit d'une fusion de plusieurs sociétés en 1854, et prit ce nom en 1903. Son siège social fut installé à Saint-Chamond (Loire) en 1871 et elle posséda plusieus sites de production, notamment à Hautmont dans le Nord et à Homécourt en Meurthe-et-Moselle.

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